Posted on 10/29/2014
in Echos de Manille
Gwenaël, volontaire au RAC pendant 1 an,
nous livre de ce lieu qui ne laisse personne indemne, ses mots, ses
impressions, ses émotions. Pour tout ce que tu as apporté à Virlanie et
aux enfants, pour tout ce que tu as donné, pour ce témoignage, au nom de toute
la Fondation Gwen : Merci !
Les enfants guettent des membres de
leurs familles ou leurs amis à la grille
« J’ai découvert le Reception Action
Center de Manille en juillet 2013, 6 mois après avoir pris connaissance de la
fondation Virlanie et de ses divers programmes pour les enfants des rues.
Depuis de nombreuses années je voulais donner un galop d’essai à une expérience
dans le volontariat. Le hasard, la vie, une personne en particulier
que je devais retrouver là-bas m’ont ainsi amené aux Philippines.
Je me souviens des mots explicites du
coordinateur des volontaires lors de l’entretien skype décrivant crûment
la réalité du lieu, où lui-même avait exercé plusieurs mois. Ma motivation
était resté inchangée : ok, c’est bon pour moi, 6 mois comme volontaire
bénévole, avec une confiance insouciante.
Au final, j‘y séjournerai 11 mois, avec plusieurs autres volontaires se succédant au sein d’équipes renouvelées régulièrement, mettant leur temps et leur personne à disposition des enfants provenant des zones les plus difficiles de Metro Manila et maintenus dans ce centre de rétention. En effet, un couvre-feu sévit entre 22h00 et 5h00 à Manille ce qui permet à la police de rafler tout mineur surpris dehors et de l’amener en ce lieu. Aux parents ensuite de venir les retrouver et d’effectuer les démarches pour les récupérer, si tant est qu’ils en connaissent l’existence.
Au final, j‘y séjournerai 11 mois, avec plusieurs autres volontaires se succédant au sein d’équipes renouvelées régulièrement, mettant leur temps et leur personne à disposition des enfants provenant des zones les plus difficiles de Metro Manila et maintenus dans ce centre de rétention. En effet, un couvre-feu sévit entre 22h00 et 5h00 à Manille ce qui permet à la police de rafler tout mineur surpris dehors et de l’amener en ce lieu. Aux parents ensuite de venir les retrouver et d’effectuer les démarches pour les récupérer, si tant est qu’ils en connaissent l’existence.
Je suis resté plus longtemps pour le RAC,
ainsi que pour la vie dans le quartier de Singkamas auprès des enfants de la
Fondation, tout comme des petits diables de ma rue Sunrise street, avec
lesquels il est parfois non négociable de ne pas jouer après une journée déjà
bien remplie. Egalement pour les amis que je m’y suis fait.
Avec le temps, les mots ont pris sens, ils
se réfèrent à présent à une réalité dont l’intensité m’a saisi, m’a
étreint, m’a submergé par moments : je voulais embrasser cette inconnue que je
devinais âpre, eh bien elle m’a pris à bras le corps. Aujourd’hui, si je
devais lire un roman, un article, avoir une conversation qui traite de l’âpre
réalité de gens dans la misère, de leur dénuement, je sais les odeurs, je sais
les plaies, je sais les maladies, je sais la peine (en partie) derrière les
mots. Certaines chansons entendues depuis des années ont maintenant une autre
portée, m atteignent en plein cœur et me replongent en l’instant vers les
moments passés là-bas…
Le premier jour, accompagnant l’équipe
déjà en place, je me suis retrouvé les bras ballants en découvrant ce site et
sa population qui finalement seront mon quotidien. Derrière les grilles
nonchalamment gardées de cet établissement caché de la vue du tout-venant,
engoncé au fond d’une impasse, une cour avec des enfants dépenaillés et
malingres, va-nu-pieds, qui viennent vers vous en courant et vous étreignent.
Un protocole d’accueil immuable. Un rituel qui sera attendu autant par eux que
par moi à partir de ce jour.
A gauche, au premier et unique étage du
bâtiment décrépit aux couleurs passées, deux cellules mitoyennes non-mixtes et
une troisième, à part, constituent le haut de l’édifice. Des enfants, garçons
et filles, le visage collé entre les barreaux de geôles qui n’en portent
pas le nom, tendent le regard vers l’extérieur guettant d’éventuels proches ou
amis. Certains d’entre eux seront choisis pour rejoindre nos activités, selon
le bon vouloir des gardiens. Le reste, la majorité, sera au mieux entassée dans
un réfectoire pour être abreuvée de dvd (le plus souvent très violents, que des
yeux entre 2 et 17 ans fixeront un peu groggy à peine sortis de leur fuite dans
le sommeil). Au pire, cette majorité passera la journée à l’étage, dans
la chaleur, sans le confort le plus élémentaire. Un seau, une cinquantaine de
garçons en moyenne, beaucoup plus parfois. Puis, on traverse la cour avec
au fond un campement sommaire où sont installés familles, personnes
malades, vieillards, indigents venus de la rue. Enfin, s’ouvre l’espace qui
sera celui des activités, ceint de très hauts murs coiffés de barbelés
fatigués, où les volontaires préparent les tables, les chaises, aménagent les
tapis de sol pour mener divers ateliers. On ne pourrait pas être plus caché.
Partout, tout autour, délabrement et insalubrité qui prend au nez et à la
gorge. Si l’indigence saute aux yeux, oppresse de toute part, il est pourtant
possible de « filtrer » son regard, de restreindre son champ de perception de
l’odieuse réalité car trop intense. On est alors pris en tenaille. Si
l’objectif premier est d’offrir des activités aux enfants, la découverte de
l’environnement immédiat chaque matin peut dicter les premières tâches à
accomplir : doucher les enfants du Lingap, nettoyer l’espace dédié aux
activités chargé d’immondices, vérifier la prise de traitements prescrits,
aider des personnes âgées à leur toilette ou bien des personnes dans un état
physique invalidant… Pas évident au début.
Il est plus facile au début de ne voir que
les enfants les plus joviaux, sains, coopératifs et d’éviter les plus
inhabituels, les plus handicapés, les plus laissés pour compte. Avec le temps,
dans une collaboration effective au sein de l’équipe, on apprend par mimétisme,
on surmonte ses appréhensions, on bénéficie de l’expérience de volontaires
ayant une formation sanitaire. On ouvre ses bras et on ne se formalise plus
trop de cet amour crasseux qui vient vers vous en claudiquant, un t-shirt trop
grand comme unique vêtement. Avec le temps, on peut décider d’étendre son champ
de conscience du lieu et d’apporter de petites réponses aux petites urgences du
quotidien, avec Bétadine, sparadrap ou balai en main. C’est déjà ça.
J’ai donc pris mes marques et au final mis
en place des routines :
- prendre le temps en arrivant de saluer
le personnel du RAC (faire preuve de diplomatie et modération pour ne pas se
les mettre à dos et faciliter des requêtes ultérieures. Bien souvent
l’arbitraire et la mauvaise volonté tranchent certaines situations et rien ne
sert d’aller à contre-courant)
- avoir quelques mots pour les assistantes
sociales
- faire un « tour du propriétaire », voir
les nouvelles têtes.
- saluer les personnes résidant au Lingap
et Sagip (dénomination administrative où sont répartis les arrivants)
- profiter du sourire d’Ate Christie qui
rarement quitte son visage, pliée en deux les mains dans les bacs d’eau lavant
des montagnes de linge. Car au final, nous nous rendons chez eux, là où ils
vivent, survivent, et il convient de ne pas arriver en terre conquise. Les
adultes présents méritent déférence et considération, de la même qu’ils en
témoignent pour nous. ils peuvent se révéler d un grand secours dans certaines
situation.
Peut-être ai-je surpris plus d’un nouveau
volontaire me demandant quel était le programme du jour, l’activité qui serait
celle à offrir aux enfants ? Ma réponse fut à chaque fois que je ne
savais pas, on verrait sur place, on prendrait la température en arrivant et on
improviserait. Autant être réaliste et ne pas se focaliser sur une séance de
math si les enfants ont visiblement mal dormi, sont malades, portent les traces
de coups et de bagarres, n’ont pas eu à manger…
Malgré cela et avant tout, il faut pouvoir
prendre du plaisir avec les enfants, que la journée soit bénéfique pour
tout le monde. Il n y a pas de mission d’enseignement, pas de programme à
suivre. C’est certes un plus que de pouvoir mener des activités en
anglais, faire de la géo sur un mode ludique, mais il y a une telle disparité
d’âge et de niveaux que l’on ne réussit pas à tous les coups… Il convient
principalement de maintenir un cadre stable avec quelques règles de base à
respecter, non négociables, relatives au respect mutuel, à la politesse, à une
certaine tenue lors des activités et à la fin de celles-ci. Belle théorie car
dans les faits certains enfants peuvent se révéler très demandeurs dans leur
manière de solliciter l’attention, et c’est avec le temps que j’ai appris à
savoir user avec efficacité de mon autorité. Mais quelle satisfaction d’arriver
à « recadrer » un enfant un peu agité, de le voir concentré sur un dessin et
révéler ses talents. Et tant pis si demain, il ou elle sera de nouveau un
trublion, la porte restera ouverte par la suite. Chaque jour il faut réessayer.
Comment en vouloir à Jericho, Sherwin, ou Al-Al de ne pas se plier aux règles
alors que, pour survivre, ils doivent justement ne pas être dociles mais être
sur le qui-vive à tout moment.
A mon sens, ce ne sont pas les activités
en elles-mêmes qui comptent, c’est ce qu’elles permettent d’interactions et de
démonstrations d’attention, d’affection et d’amour aussi. Par exemple,
couper les cheveux des enfants avec des petits ciseaux à bouts ronds et un
vieux peigne, c’est une activité car on est tout entier consacré à eux. Prendre
le temps, avec les conseils avisés de ses collègues féminines, pour
réussir un carré plongeant sur la petite Veamae Fernandez, c’est une
activité. Avoir chaque vendredi une séance « hygiène et salon de beauté »
où les volontaires deviennent manucures, pédicures, masseurs des mains pour les
adolescentes, c’est une activité. Un vieux fauteuil roulant tout rouillé avec
juste le métal des roues comme support, voilà le parfait outil pour offrir des
courses folles et de grandes rigolades. C’est parfois avec des petits riens,
des bouts de ficelle, le détournement de la fonction première d’un jouet pour
en faire un autre que l’on s’éclate le plus avec les mômes : le Djenga devient
dominos que l’on peut aligner à la manière d’un serpentin pour faire s’écrouler
le tout d’une pichenette. Un marqueur et voilà une fine équipe de
mousquetaires à la moustache fière, fou rire garanti ! Voilà des moyens de
proposer de la détente, un moment pour oublier ses peines, alléger le
quotidien. Et j’ai été proprement heureux de jouer avec eux, fier d’être kuya
Gwen à leurs yeux et de faire autant que possible que tout se passe bien. Oui,
fier et nanti d’une force supplémentaire à leurs contacts, d’une confiance.
Un marqueur peut suffire : Justin Angelo
Carlito
Nous avons même eu des après-midi détente
où volontaires et enfants s’allongeaient simplement sur les tapis de sol. Qui
voulait lire lisait, qui voulait dormir dormait, qui voulait étreindre une
peluche et rêvasser le pouvait. En silence, avec en prime parfois une petite
brise atténuant la fournaise ambiante et dispersant les relents putrides des
latrines. Leurs petites peaux marquées de rougeurs, de boutons ne rebutent plus
depuis longtemps. Le quasi bonheur.
On est soumis à rude épreuve au RAC c’est
indéniable. Car il n’y a pas que les enfants mais tout un petit monde
fait d’adultes, d’enfants handicapés esseulés, de personnes psychotiques en
souffrance, de naufragés de la rue qui vivent les uns sur les autres, bon gré
mal gré. Libre à chacun de prendre en considération cet entourage mais il
s’impose parfois de lui-même. Je ne sais pas s’il y a une préparation possible
:
- que faire face à une mère de 2 enfants
en pleurs, qui tient dans les bras son petit dernier, tuberculeux, renvoyée à
la rue par l’administration du RAC et qui vous demande de l’aide. Vous revenez
de votre pause déjeuner, plutôt satisfait de la matinée et de son déroulement
avec les enfants, et cette réalité vous saute à la gorge dès que vous passez
les grilles. Palabres et plaidoyers auprès des personnes en charge n’y feront
rien, dehors ! En plongée sous-marine, la méthode enseignée pour venir en aide
à une personne qui se noie est simple : d’abord, il faut garder ses distances.
On s’approche, on communique, mais on reste en retrait et si la personne fait
mine d’avancer, on donne un coup de palme pour maintenir cet écart
de sécurité. Sinon, la personne désespérée s’accroche à vous et vous coule.
C’est comparable en milieu social, il n’est pas question de couler et il n’est
pas question que des volontaires coulent à la première détresse. Il faut tenir
et, c’est un fait, s’endurcir. Alors, on regarde certains couler, et on
continue avec les autres. Je l’ai appris sur le tas.
- que faire avec des enfants en pleurs, apeurés après la nuit passée avec une soixantaine d’autres garçons de tous âges dans une cellule où les murs et le sol font office de lits et d’oreillers, avec juste un seau pour se soulager. Ils ne peuvent qu’ânonner « mama » entre 2 sanglots. Un enfant qui pleure après sa mère, c’est quelque chose qui affecte beaucoup, cela s’instille doucement dans les brèches d’une défense émotionnelle. Alors 4 ou 5 en même temps… Ils ne parlent pas forcément anglais, vous ne parlez pas tagalog : il faut tenir, juste offrir ses bras, son épaule. Faire ce qu’on peut. Les autres, du haut de leurs 7 ou 8 ans, regardent sans compassion l’air de dire :« t’as intérêt à muscler ton jeu vite fait si tu veux tenir ici, tant pis pour toi si t’y arrives pas ». Je ne peux que supposer, mais j’ai cru voir chez l’un d’eux, Jay-Ar, de la surprise dans ses yeux à ce spectacle, comme s’il avait oublié qu’on puisse pleurer après sa maman. Une incrédulité pour lui.
- que faire avec des enfants en pleurs, apeurés après la nuit passée avec une soixantaine d’autres garçons de tous âges dans une cellule où les murs et le sol font office de lits et d’oreillers, avec juste un seau pour se soulager. Ils ne peuvent qu’ânonner « mama » entre 2 sanglots. Un enfant qui pleure après sa mère, c’est quelque chose qui affecte beaucoup, cela s’instille doucement dans les brèches d’une défense émotionnelle. Alors 4 ou 5 en même temps… Ils ne parlent pas forcément anglais, vous ne parlez pas tagalog : il faut tenir, juste offrir ses bras, son épaule. Faire ce qu’on peut. Les autres, du haut de leurs 7 ou 8 ans, regardent sans compassion l’air de dire :« t’as intérêt à muscler ton jeu vite fait si tu veux tenir ici, tant pis pour toi si t’y arrives pas ». Je ne peux que supposer, mais j’ai cru voir chez l’un d’eux, Jay-Ar, de la surprise dans ses yeux à ce spectacle, comme s’il avait oublié qu’on puisse pleurer après sa maman. Une incrédulité pour lui.
Pour paraphraser Coline, que vous
connaissez maintenant par son témoignage, on n’en ressort pas indemne. Le RAC
impose des contrastes forts, des extrêmes, des instants qui se chevauchent et
se télescopent sans transition. Notre être, notre conscience sont
ébranlés, notre humanité est sur la corde raide, exposée et sollicitée comme
jamais. Aux sourires et aux rires, à la joie de vivre apparente que l’on
constate sur certains visages peut succéder une effusion de violence.
L’explosion des tensions liées à la précarité d’un tel lieu et les impératifs
de survie qui en découlent ne nécessitent qu’une maigre étincelle.
Pour nous libérer tout cela, nous
organisions des réunions entre nous, une table ouverte pour revenir sur les
événements les plus éprouvants, les difficultés face à telle ou telle situation
rencontrée, des cas de figure qui pourraient se reproduire et que l’on pourrait
mieux appréhender la fois suivante. Des entretiens en aparté également, pour
susciter la verbalisation des certaines tensions accumulées et par voie de
conséquences « ouvrir les vannes ».
On tutoie des sentiments nouveaux, dans mon
cas par exemple celui d’un attachement particulier à un petit bonhomme de 3 et
demi, Carlito, qui vivait au RAC avec ses 4 frères et une mère très négligente.
Bien trop à l’aise en costume d’Adam, il était tous les jours cul nu, jouant à
sa guise avec le premier bâton trouvé par là, ou n’importe quel trésor souillé
qui fut digne d’intérêt dégoté dans les poubelles. Je me suis leurré à son
sujet, le prenant au début pour une exception s’accommodant plutôt bien de ce
cadre, un lotus même, resplendissant dans les eaux fangeuses du RAC.
Après plusieurs semaines, il était mangé de galle, un abcès lui déformait
l’arrière du crâne. Ce n’était qu’une question de temps pour que je sois témoin
de cela, que je découvre l’effet irrémédiablement corrupteur et sauvagement
délétère de ce lieu. Au bout de 7 mois il a pu trouver une place temporaire à
Virlanie avec le reste de sa fratrie.
Une journée peut s’avérer « difficile »,
éprouvante, sans rencontrer d’échos de la part des enfants lors des activités,
avec moult facteurs perturbateurs dans l’environnement direct, une journée de «
merde » littéralement si plusieurs enfants se sont fait dessus ou si en
arrivant le matin on découvre notre espace d’activité jonché d’étrons, tant il
est devenu impossible pour les résidents d’aller se soulager dans la tranchée
surchargée qui fait office de toilettes. Et bien, c’est parfois à la fin d’une
telle journée, une fois accompli le traditionnel et impératif lavage de mains
ponctuant chaque fin d’activité, que deux ou trois gamins décident de rester
une heure de plus. Calmes, juste assis là à parler entre eux, ayant ainsi
l’occasion d’un moment de détente, se sentant peut être sous notre
protection et décidant de ne pas penser aux conséquences qu’aurait leur retard.
C’est là que la journée prenait toute sa saveur, dans cette mise à disposition
de soi.
Avec les mois, une certaine confiance et
aisance s’est mise en place dans le relationnel avec les enfants. Beaucoup
furent mes partenaires réguliers au fil de l’année, plusieurs mois d’affilée
parfois, disparaissant puis réapparaissant sans prévenir. J’ai fait le « job »
et j’ai aimé ce que je faisais. J’ai aimé me sentir dans l’instant, réactif,
prêt à interagir et susciter l’intérêt des enfants, gagnant une certaine estime
de leur part. Et tant pis pour les moments où ils m’ont rendu chèvre, tant pis
pour les gros coups de fatigue, et tant pis pour les emportements mutuels.
Rester au RAC revêt un double tranchant :
on prend de l’assurance, on surmonte les petits bobos et les infections plus ou
moins sévères inhérentes à ce lieu, on encaisse les coups de chaud, on
s’attache à ce petit monde dont on apprend à connaitre les signes de mauvaises
humeurs pour certains, mais c’est aussi l’occasion d’avoir quelques
désillusions et de prendre quelques grandes claques : voir certains dépérir, ne
rien faire pour ceux-là, parce que ça fait trop, parce que l’on n’en a pas
envie, parce qu’on veut garder une vie pour soi et ne pas s’offrir aux autres
corps et âme. Rencontrer des enfants dehors dans la rue et se prendre en pleine
gueule tout le contraste entre l’innocence associée généralement à un enfant et
la réalité de sa vie, qui ne sera jamais la nôtre. Les chiens déambulent sur
les trottoirs, les oiseaux percent le ciel, les gamins des rues, eux, sont
entre ces deux mondes, voletant de l’un à l’autre, picorant ce que le quotidien
leur réserve, suscitant leur chance et dansant sur leurs destinées sombres.
Entre allégresse et conscience glacée d’en avoir déjà trop vu. Un enfant ne
doit pas vivre ça. Je ne sais pas ce que c’est de dormir dehors, je n’ai jamais
connu la faim, je n’ai jamais connu les abus. On les laisse à leurs vies, à
leurs mondes, on prend les sourires. Et on tient, on continue, pas désabusé
mais juste conscient que tout ne marche pas tout le temps. Je ne regrette rien,
surtout pas d’avoir prolongé mon séjour, surtout pas d’avoir pris ces sourires.
Un grand merci à tous les enfants pour
tout ce que j’ai reçu d’eux, pour ce que j’ai appris à leurs côtés. Un grand
merci aux « rac-lures », volontaires avec lesquelles nous avons eu des journées
hautement éprouvantes parfois mais qui nous ont fait progresser en tant
qu’individu. Merci
Un grand merci aux volontaires de l’office
qui sont venus au RAC quand leurs plannings le leur permettaient. Ce soutien
fut une véritable bulle d’air.
Un grand merci à kuya Jeff pour sa
patience, son dévouement exemplaire dans son travail d’infirmier et son
indéfectible gentillesse.
Un grand merci à tout Virlanie et à
Dominique Lemay de m’avoir fait confiance, j’ai fait de mon mieux, comme les
autres.
Le petit Angelo, que j’ai vu toute cette
année est toujours au RAC, plus de trois ans déjà. Lors de mon dernier jour,
pas un mot de sa part, pas d’aigreur mais un réalisme précoce : j’étais juste
un de plus à lui dire au revoir et à le laisser là ».
Pour la situation sanitaire : http://www.rfi.fr/emission/20140131-1-enfer-rac-prison-mineurs-manille/
Témoignage photographique : http://www.collectifkairos.com/le-rac/
Témoignage photographique : http://www.collectifkairos.com/le-rac/
bravo pour ton témoignage, Gwen, trés réaliste et donc émouvant
RépondreSupprimerBien à toi
Paul et Chantal Clément
merci pour ton courage et ta plume, ton témoignage me rappelle le cours séjour que j y ai fais 2 fois, bravo pour ton implication et ton dévouement
RépondreSupprimerAte Ginette